Réaction des sections aixoise et marseillaise aux propos tenus dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur « l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier »


En tant qu’avocat·e·s acteur·ices du monde judiciaire, et plus encore en tant que membres d’une société démocratique, nous ne pouvons que réagir aux déclarations faites le 5 mars 2024 par plusieurs magistrats marseillais devant la commission d’enquête sénatoriale sur le « narcotrafic ».

En premier lieu, il apparaît dangereux de soutenir l’idée que les avocats qui soulèvent des moyens de procédure pénale, sans se restreindre à discuter le fond du dossier, sont une entrave dans le combat contre le « narcotrafic » et qu’ils agissent contre l’intérêt de notre société.

Il faut sans doute malheureusement rappeler – à des magistrats, ce qui est particulièrement préoccupant – que les règles définies par le code de procédure pénale ont été édictées par le législateur et tiennent lieu de garde-fous face aux potentielles dérives de l’autorité judiciaire.

Loin du mythe de l’avocat-voyou, qui utiliserait les moyens de procédure à des fins dilatoires, exiger la juste application de la loi constitue une garantie démocratique.

Cette idée est d’autant plus dangereuse que la pratique réelle de la procédure pénale montre qu’il est particulièrement difficile d’être entendu sur des moyens de procédure.

Souhaiter des avocat·e·s silencieux·ses, qui abonderaient uniquement dans le sens des juges, constitue une étape historiquement identifiée de la transition vers une société autoritaire.


En deuxième lieu, les sections marseillaise et aixoise du SAF ne peuvent que rejeter l’idée d’un régime carcéral spécifique aux « narcotrafiquants », organisé sous la forme de quartiers de sécurité où serait interdite toute communication avec l’extérieur.

En effet d’une part, les individus impliqués dans le trafic de stupéfiants constituent une catégorie particulièrement vaste, du guetteur de bas d’immeuble au trafiquant international.

L’instauration d’un tel régime serait donc particulièrement déconnectée de la réalité des rôles et degrés de responsabilité de ces individus. À terme, cela ne ferait en réalité qu’encourager la « cartellisation » déjà à l’œuvre.

D’autre part, instaurer un régime carcéral spécifique au stade de la détention provisoire – c’est- à-dire avant tout procès – pose également une question fondamentale en termes de présomption d’innocence. Un individu qui ne serait pas encore jugé serait finalement déjà condamné et puni, puisque la privation de tout contact avec l’extérieur le pénaliserait durablement, en le coupant des liens avec sa famille, le monde professionnel et la société.

De la même façon, instaurer un régime carcéral spécifique au stade de la condamnation, en l’absence de moyens suffisants alloués à l’objectif de réinsertion de la peine en France, n’a aucun sens et s’avèrerait totalement contreproductive pour notre société. Il convient de rappeler que là où construire des antennes carcérales sécurisées coûte très cher au contribuable, la réinsertion d’un individu, qui cotisera et participera à notre économie, lui en fait gagner.

En troisième lieu, l’instauration de cours d’assises spéciales n’apparaît pas nécessaire. La réalité des cours d’assises populaires ne montre pas moins de sévérité dans les délibérés rendus. Le maintien de jurys populaires est indispensable dans une société dans laquelle l’autre est de plus en plus souvent érigé en étranger et en ennemi. Faire croire aux individus qu’ils seront en danger en siégeant en cours d’assises reviendrait là encore à faire le lit de la dérive sécuritaire et autoritaire.

En quatrième lieu, la proposition de réformer le statut de « repenti » ou « collaborateur de justice », c’est-à-dire de l’individu qui collabore avec les services d’enquête ou d’instruction, consiste encore une fois à se détourner du véritable problème. En pratique, ces individus, qui courent de grands risques pour leur sécurité et celle de leur famille, ne voient quasiment jamais la diminution de peine promise intervenir.

En cinquième et dernier lieu, les sections aixoise et marseillaise du SAF alertent sur les dérives de l’usage d’un vocabulaire martial de façon de plus en plus courante par les acteurs publics.

Plutôt que de persister dans une approche sécuritaire de la lutte contre le trafic de stupéfiants, telle que pratiquée depuis quarante ans en France, il semble plus que jamais opportun de regarder en face les causes véritables de l’implication de certains de nos concitoyens dans de tels trafics. En d’autres termes, faire preuve de courage et d’honnêteté intellectuelle en s’attaquant aux causes sociales, et admettre que la stratégie du « pilonnage » est sans effet sur le développement des réseaux de narcotrafic.

« L’État-spectacle » est un modèle dangereux qui confond les politiques publiques et la propagande sécuritaire.

Nous ne sommes pas en guerre. Notre concitoyen·ne n’est pas notre ennemi·e.