Mineurs isolés étrangers : Relégués dans des hôtels et exclus du droit commun

Depuis le mois de juillet 2022, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône déploie une nouvelle stratégie dans la prise en charge des mineurs isolés étrangers (MIE) ayant obtenu une décision judiciaire qui les confie à l’aide sociale à enfance. Cette stratégie vise tout particulièrement des mineurs qui ne sont pas reconnu.es comme tels à l’issu d’une évaluation menée par le service MNA (mineurs non accompagnés) de l’Addap13, prestataire du département, et dont la minorité est ensuite « rétablie » par un juge des enfants.

 

En effet, bien loin de la démarche neutre et bienveillante évoquée par le référentiel national (arrêté du 20 novembre 2019), l’évaluation effectuée par le service MNA de l’Addap13 reste structurellement subjective et à charge, et s’avère souvent être expéditive et standardisée.

 

Tandis que toute décision de placement judiciaire d’un enfant en danger est immédiatement exécutoire et impose l’orientation du ou de la jeune vers une structure adaptée offrant une prise en charge pluridisciplinaire, le CD13 estime pouvoir répondre à cette obligation par l’hébergement dans des hôtels dégradés et/ou éloignés du lieu de scolarisation ou de travail en alternance, et avec un encadrement éducatif insuffisant, voire inexistant.

 

À titre d’exemple, le département confie à l’Addap13 la gestion d’un hôtel au Rove, à plus de 15 km du centre-ville de Marseille, ce qui représente un trajet d’1h30 environ avec les transports en commun.

 

Étant hébergés dans cet hôtel, les jeunes concernés ne peuvent pas poursuivre sereinement leur scolarité ou leur apprentissage. Sauf à quitter le Rove à 5h50 (et à faire trois changements de bus), ils sont systématiquement en retard (entre 10 et 30 minutes).

 

En effet, le premier bus part à 7h de La Poste du Rove et met environ 1h à rejoindre le centre-ville. Les cours commençant à 8h, il est matériellement impossible d’être en classe à l’heure (quel que soit l’établissement concerné).

 

Pour le trajet du retour au soir, les jeunes doivent prendre 3 à 4 bus pour un trajet total de plus d'1h30. Ils ne peuvent donc pas espérer être de retour avant 18h30 et sont déposés à environ 2 kilomètres de leur hôtel.

 

Or, la présence des éducateur.rices (2 hommes et 3 femmes) sur la plage 9h/17h, auxquels se rajoute un veilleur de nuit, s’avère parfaitement inutile et oblige les jeunes à réserver les heures du weekend – lorsque la présence de l’équipe éducative n’est pas toujours assurée – pour effectuer leurs démarches administratives (notamment en matière d’accès à la santé et à la scolarité).

 

L’Addap13 se retrouve ainsi à « accueillir » et « accompagner » des jeunes pour lesquels elle a déjà émis une évaluation défavorable. Au sein de cet établissement, la prise en charge s’avère être largement insuffisante et les jeunes font l’objet de pressions et d’une stigmatisation larvée.

 

Ainsi, cette orientation hôtelière s’apparente plus à une mesure de représailles vis-à- vis des jeunes dont le CD13 persiste à douter de la minorité, que d’une réelle prise en charge respectueuse des droits de l’enfant.

 

D’autres jeunes se trouvant dans la situation évoquée sont depuis deux semaines orientés vers un deuxième hôtel, cette fois en plein centre-ville (hôtel Nady, cours Lieutaud). Ceci laisse entendre que le CD13 croit pouvoir déroger à la loi à sa guise et entend systématiser l’exception.

 

Dans cet hôtel, aucune présence d'éducateur ni de gardien n’est assurée, l’accompagnement scolaire est inexistant, et les problématiques médicales sont totalement négligées. Côté alimentation, les jeunes reçoivent des tickets restaurant et mangent en snack le midi comme le soir.

 

La loi Taquet du 7 février 2022 a décrété la fin des prises en charge hôtelières au titre de la protection de l’enfance, à compter de 2024. À titre dérogatoire les départements peuvent d’ici-là continuer d’y avoir recours en raison de l’urgence ou pour assurer la mise à l’abri, pendant des périodes de deux mois maximum, et dans des conditions de sécurité physique et éducative renforcée.

 

Alors que le département, après avoir saturé l’hôtel du Rove, oriente désormais des jeunes vers un nouvel hôtel, dans des conditions tout aussi inadaptées et dégradantes, il est à noter qu’un bon nombre de structures de type MECS (maison d’enfant à caractère spécialisé) disposent de places disponibles (notamment : Galipiote remplie à 70%, AAJT collectif et diffus à 91%, Saint-Michel à 84%).

 

Le recours aux hôtels et à des prises en charge au rabais, constitue donc une dérogation au droit commun insensée et discriminatoire.

 

Le collectif MIE13 dénonce cette énième initiative du CD des Bouches-du-Rhône, et tout particulièrement :

  • la suspicion généralisée vis-à-vis des mineur.es isolé.es
  • le caractère subjectif, standardisé et souvent spéculatif des évaluations du service MNA de l’Addap13
  • la rupture d’égalité entre jeunes placés à l’ASE selon le caractère favorable ou défavorable desdites évaluations
  • l’atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant, à son droit à l’exécution de la décision du juge des enfants, au principe de la sauvegarde de la dignité humaine et au droit au respect de sa vie privée et familiale.

 

Le collectif MIE13 demande formellement la fermeture de tout dispositif dérogatoire de prise en charge des MIE mis en place par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, et exige l’orientation des jeunes concerné.es vers les structures de droit commun, afin d’assurer une prise en charge adaptée et respectueuse des principes informant la protection de l’enfance.

 

Signataires :

Collectif MIE13, Collectif 113, Collectif 115, Association Soutien59StJust, Ramina, SAF (Syndicat des Avocat.es de France), La Cimade Marseille, Réseau Hospitalité.